vendredi 23 octobre 2020

L'afterwork

16h45. Les mecs passent dans les bureaux en tapant des mains et en criant « Allez apppppéro ! ». C'est qu'il faut commencer tôt à picoler dans un espace clos et à se rire très fort au nez, voyez-vous, depuis que notre gouvernement totalitaire nous impose d'être rentrés chez nous à 21h.

Moi, je suis en rogne, j’essaie de résister à l'envie d'aller leur gueuler dessus.

Je ne comprends pas. Il ne s'est rien passé, ces derniers mois ? Comment est-il possible de continuer à vivre de façon si égoïste, alors même qu'on répète depuis des semaines qu'on va dans le mur ? Est-ce un sport si jouissif de trouver les mille façons de contourner une règle pour son seul putain de bon plaisir immédiat ? Partout, dans l’ascenseur, dans les files d’attente, dans la télé, on se défausse. « Oui mais le virus n’attaque qu’à 21h01 », « oui mais c’est pas pire que le bus », « oui mais dans les facs ils sont entassés », oui mais, ouimais, uuimèèè... Ils font tous semblant de ne pas comprendre, ont tous une bonne excuse à dégainer. C’est donc inenvisageable de faire corps, de respecter quelques directives franchement pas si complexes, d’écouter les soignants qui tirent le signal d’alarme, de penser aux malades chroniques, aux victimes directes ou collatérales du virus ? De ne pas rajouter du mal au mal ?

Le gouvernement n’a pas été à la hauteur. Ce qu’on peut déjà difficilement excuser en mars devient absolument inexcusable en octobre. J’ai le cœur dans la gorge quand je pense que tout ce que j’ai dû vivre pendant le confinement n’aura même pas servi à accomplir un dessein plus important. Je suis encore sous le choc de ne pas avoir été en mesure d’accompagner mon père dans ses derniers instants, de ne pas avoir été en mesure d’assister à son enterrement ni de voir ma famille, d'être privée de la paix de savoir que j'ai au moins fait les choses dans les règles. Il a fallu faire avec. Il faut faire avec. Il faudra faire avec.

Le gouvernement n’a pas été à la hauteur et ces semaines pendant lesquelles des plans de prévention auraient pu être mis en place ont été piétinées par ces hybrides de politiciens/communicants, des gourous mégalos et des pseudoscientifiques amoraux, mais ça n’exonère pas de respecter les consignes et de faire de son mieux.

Arrêtez de faire les cons par pitié.

lundi 18 mai 2020

Dimanche 17 mai 2020

Ciel bleu. Vent léger. Soleil haut. Trois grilles en fer. Des tombes très serrées autour d'une petite église en pierres rénovée. Des pavots de Californie se sont ressemés partout où ils ont pu, apportant au décor des éclats orangés vifs. De vieilles sépultures en granit, ceinturées de clôtures en fer, des tombes plus modernes avec incrustations de photos et d’illustrations. Des personnes qui ont trop peu vécu, d'autres longuement et je l'espère heureusement.

Parmi elles, désormais, mon père, dans un caveau de béton surmonté d’une petite plaque avec son nom. Je suis un peu sidérée devant cette nouvelle demeure grise. Les marbriers feront leur travail plus tard.

J'ai pris avec moi les fleurs en papier, la bougie, les bâtons d'encens. C'était une évidence, a posteriori, qu'il fallait les conserver, que ce petit recueil ne pouvait pas finir sur une étagère.

Je m'assieds sur une marche. Ma mère s'installe à ma gauche. On regarde la mer. Il fait si beau.

On reste en silence, assises côte à côte.

Bonjour papa.

Je gratte plusieurs allumettes avant de réussir à enflammer le lumignon. Retire quelques petits cailloux. Cherche où planter les deux bâtons d’encens.

Je suis enfin là.

J'allume les bâtons grâce à la bougie. Je garde en main les fleurs que j'ai réunies en bouquet, cherchant du regard comment les poser. J'espérais trouver quelque chose autour duquel les enrouler.

Ça n'a pas été facile de venir tu sais. Je suis désolée de ne pas avoir réussi avant. J'ai bataillé tout ce que j'ai pu, mais tout était plus fort que moi.

On reste en silence, assises côte à côte, dans la légère fumée de l'encens. Mes doigts s'agitent sur les tiges en fer vert. Je commence par la pivoine et ajoute en quinconce les deux anémones puis deux coquelicots.

Je suis désolée de ne pas être venue te dire au revoir. Je comprends que tu n'aies pas pu m'attendre. Je ne t'en veux pas.

Ma mère se lève, va regarder les tombes et les fleurs qui nous entourent. Je continue à tresser avec la rose puis les renoncules.

Des voitures passent pas loin. Je ne suis plus trop habituée à ces bruits. Les encens s'éteignent.

J'ajoute les coquelicots blancs.

J'entortille ma petite guirlande de fleurs autour du pied de la plaque à son nom. Sa taille me permet de la faire légèrement remonter du côté droit.

Ma mère revient et se rassied.

  • C'est joli ?
  • Oui.
  • Je peux laisser ça comme ça ?
  • Bien sûr.

J'essaie de faire une photo, je n'arrive pas à composer avec le soleil haut, le béton et la matière réfléchissante de la plaque. J'aurais aimé être en mesure de lui offrir autre chose que des symboles en cendre et en papier.

Il y a quelques voiles sur la Manche. Je ne savais pas qu'il était de nouveau autorisé de sortir en mer.

  • Le lumignon s'est éteint.
  • C'est qui, la Madonna della Rose ?
  • C'est la mère de la consolation et des affligés, à qui la Sainte Vierge est apparue à San Damiano, en Italie.
  • Qui t'a donné cette bougie ?
  • Une personne de retour de pèlerinage là-bas, que j'avais aidée à s'orienter à Paris. Je l'ai gardée en pensant que je saurais quoi en faire un jour.

On cherche des petits cailloux blancs pour lester le lumignon afin qu'il reste en place malgré le vent. Je l'abrite derrière la plaque nouvellement fleurie. L'ombre de l'église commence à s'étendre vers nous. Les pavots de Californie se referment jusqu'à demain matin.

Au revoir papa.

vendredi 15 mai 2020

Vendredi 15 mai 2020

On interrompt nos gestes. On se tourne maladroitement autour. Lorsqu’elle fait un pas vers moi, j’en fais deux en arrière. On se regarde dans le fond des yeux. Elle lit la colère et l'épuisement dans les miens, je vois la fêlure et la tristesse des siens. J'ai peur de la prendre dans mes bras.

C’est comme s’il fallait s’apprivoiser un peu avant de se parler. On sait plus vraiment de quoi l’autre est faite, on a vécu tellement de choses depuis la dernière fois. De grands bonheurs et une grande tragédie. On essaie de partager les récits de ces moments qu’on a dû vivre séparément, c'est brouillon, urgent, ça déborde d'émotions.

Ma tête a du mal à juger du caractère réel de la situation, pourtant je suis bien là, dans cette maison qu'une âme a définitivement quittée.

jeudi 14 mai 2020

Mercredi 13 mai 2020

Convaincre le clerc de notaire de me convoquer par mail au rendez-vous de vendredi n'a pas été aisé. Une fois de plus, c'est la colère qui m'a portée. Il préférait passer par procuration, ce que j'ai catégoriquement refusé d'accepter. Je me suis lancée dans cette bataille avec toute l'énergie dont j'étais capable. J'ai demandé, argumenté, supplié, relancé, ... réussi.

Demain, à cette heure, je serai, enfin, avec ma mère.

L'achat du billet de train a dissipé la rage. Je pensais que cela me calmerait enfin, mais en vérité, c'est un bourdonnement de questions qui ne méritaient pas d'être posées plus tôt qui m'assaille. J'ai décidé d'aller à la gare à pied pour éviter au maximum les contacts avec les gens. Mais quid de la gare ? Du train ? Des surfaces ? Comment être sûre d'arriver "saine" ? J'ai cauchemardé que j'apportais avec moi la maladie qui tuerait ma mère. Et une fois sur place ? Faudrait-il aller à la maison à pied également ? Pouvons-nous manger ensemble ? Est-ce que j'aurai la force d'aller sur la tombe de mon père ?

Qu'est-ce que je vais trouver, là-bas ?

lundi 11 mai 2020

Lundi 11 mai 2020

Interdit de se déplacer au-delà d'un rayon de 100 kilomètres autour du lieu de résidence

Ce confinement aux contours flous, sans cesse remodelé à coup d'attestations bureaucratiques, est une longue punition infligée par des esprits sadiques.

jeudi 7 mai 2020

Jeudi 7 mai 2020

J’ai assez vite cessé d’attendre.

L’espoir de rejoindre ma mère, de réinjecter un peu de normalité dans nos vies, a été rapidement remplacé par une colère concentrée dans le fond des poings, prêts à écraser et détruire à chaque frustration, aussi dense et résistante soit-elle. Il y a un réconfort, même fugace, dans cette destruction, dans ces choses que je broie et qui sont tout à fait à ma merci. Ce sera un miracle si j'atteins le 11 mai sans fracture du connard.

J'ai peur de laisser ma colère l'emporter, alors je me force à rester chez moi pour ne pas provoquer de dégâts. Me heurter à une personne peu compréhensive qui jugerait le motif de mon déplacement illégitime pourrait déclencher une fureur que je ne veux surtout pas vivre. Et en même temps, je me déteste de ne pas avoir la force de tout envoyer valdinguer, d'y aller, même à pied.

Je déteste cette peur qui me tétanise, ce cerveau atrophié qui n'arrive plus à penser.

jeudi 16 avril 2020

Jeudi 16 avril 2020

« - Et côté activité, ça va ?
- Oui, on bosse bien, on a plus de nouveaux clients.
- Ah, si ça permet aux petits artisans d’augmenter leurs chiffres d’affaires, je trouve ça parfait ! »

Je conçois que chacun doive faire face à sa façon à cette situation exceptionnelle, que pour certains l’optimisme est une gymnastique et que la gymnastique dans son salon est hyper tendance, mais arrêtez-vous deux minutes et réfléchissez avant de partager avec le monde vos fulgurances.

« Merci le confinement de nous sortir de notre zone de confort, de nous rappeler ce qui est essentiel. »

Cette pandémie est destructrice et violente. Ce n’est pas une « chance offerte par la planète » ! Ce sont des centaines de milliers de personnes malades, des dizaines de milliers de morts, des deuils impossibles, des angoisses du lendemain, des violences domestiques, des familles séparées, des personnes isolées, des gens qui se retrouvent sans revenus, sans emploi, d’autres qui vont bosser la peur au ventre.

Vous êtes sûrs que la sortie de votre petite zone de confort valait ça ? Certains que c’était un prix correct à payer pour vous rappeler de l’essentiel ? Vraiment convaincus que c’est « parfait » puisque le commerçant de la rue a doublé son CA sur le dernier mois ? Ça panse vraiment les blessures de monter et tenir un putain d’équilibre sur la tête ?

Un peu de décence, par pitié.

lundi 13 avril 2020

Lundi 13 avril 2020

J’avais mis de côté un petit flacon de gel hydroalcoolique et un masque neuf acheté au Japon en janvier 2018 en prévision du train que je prendrais ce jour là pour rejoindre enfin la Normandie. Je me disais que le voyage serait stressant et désagréable, mais je savais le soulagement de la première grande bouffée d’air dès le pied posé sur le quai de la gare. L’odeur du sable et du sel. Le vent sur ma peau et l’air dans mes poumons, comme une invitation à se remettre en état de fonctionnement, à réveiller le corps et le cerveau. Reprendre la vie là où elle a été mise en pause. Évidemment, dans mes pensées, ce jour était ensoleillé et doux, les fleurs embaumaient dans mes bras clos et depuis le cimetière, la vue sur la mer.

Le temps passant, j’ai commencé à espérer fin avril, jusqu’à nourrir une certitude, comme un phare dans ce deuil nébuleux, avant de pouvoir serrer dans mes bras ma mère, ma sœur, ma famille, sentir leurs parfums, lever nos coupes, évoquer des souvenirs, regarder des photos, pleurer et rire ensemble.

11 mai.

Ces dernières journées sont passées plutôt vite, même si trop se terminent à 4h ou 5h du matin. Mais encore un mois à attendre, suspendus dans cet état irréel, … est-ce que l’air sera encore en mesure de me réanimer ? Cette date me semble si lointaine.

Je veux bien troquer ce jour ensoleillé et doux contre la tempête, le froid et la grêle, pourvu qu’il arrive enfin et que je sois en mesure d'accueillir cet air qui me manque tant.

jeudi 2 avril 2020

Jeudi 2 avril 2020

Ce soir, face à l’autel, en regardant la coupelle en fonte noire remplie de cendres très pâles, j’ai pensé à ce livre d’Okawa Ito.

L’héroïne, qui exerce à Kamakura le métier d’écrivain public dans une petite papeterie léguée par sa grand-mère, doit à un moment écrire une lettre de condoléances. Elle explique alors qu’elle la rédige dans une encre beaucoup plus pâle que d’habitude :
« Diluer l’encre, c’est le signe d’une grande tristesse : les larmes tombées sur la pierre à encre en ont éclairci la couleur. »

Je me demande si la cendre de l’encens est suffisamment pigmentée pour en faire une encre.
S’il faudrait d’abord frotter un peu le bâton de suie et de colle sur la pierre avant d’essayer de l’écraser. Mais je ne sais pas si mon bâton d’encre est de suie de pin comme le parfum de mon encens. Je me torture les méninges comme si c’était là la question la plus importante au monde.

Je n’ai toujours pas rallumé la bougie et il me reste toujours deux bâtons d’encens.

lundi 30 mars 2020

Lundi 30 mars 2020

Une semaine.

L’autel improvisé en une nuit est toujours sur l’étagère. Comme j’ai cessé de brûler l’encens, j’ai ajouté un petit fagot de branchettes de verveine citronnelle que m’a offert ma mère après sa dernière récolte. Il suffit de le rouler entre les paumes des mains pour que l’effluve délicate se répande.

Je ne le fais pas très souvent car je ne veux pas être cueillie par ce souvenir triste à chaque fois que je sentirai mes boîtes de feuilles à tisane.

vendredi 27 mars 2020

Vendredi 27 mars 2020

J’ai fait de la place sur une petite étagère au-dessus du bureau pour déplacer, sur le tissu imprimé de grues qui s’envolent, sa photo, la moitié des fleurs rassemblées dans un vase, le lumignon allumé et l’encens.

Ce soir, il ne reste plus qu’un centimètre de cire et deux bâtons. J’ai éteint la bougie, arrêté de recharger le porte-encens.

Je ne suis pas prête à terminer ce rituel. Puisque je dois l’inventer au fur et à mesure, j’ai au moins la liberté d’arrêter.

Je ne veux pas dire au revoir.

jeudi 26 mars 2020

Jeudi 26 mars 2020

Tout à l’heure, nous serons ensemble.

J’ai décroché sa photo, toujours aimantée sur ma porte d’entrée, et l’ai posée sur la table.

Pour le voyage, je l’ai posé sur un tissu au motif de grues japonaises qui s'envolent.
Pour la lumière, j’ai ajouté un lumignon de la Madonna della Rose qu’une pèlerine m’avait offert il y a 10 ans à Paris car je l’avais aidée à trouver son chemin.
Pour le parfum, j’ai planté trois bâtons d’encens japonais qui sentent la forêt de cèdre.

Les fleuristes sont fermés, alors j’ai fabriqué des fleurs en papier avec le Grü.

Trois fleurs à côté de son portrait, quatre dans le petit vase bleu, pour les âmes qui penseront à lui.

Et puis je voulais inviter du monde. Alors une rose de jardin pour ma mère, entourée de cinq simili coquelicots orangés, pour les âmes qui penseront à elle.
Une grande pivoine blanche pour ma sœur, entourée de deux anémones pour mon beau-frère et la Bulle et de deux renoncules pour les jumeaux.

Ça en fait, du monde !

Comme je manquais de papier, j’ai rajouté le bout de ciel dans lequel j’ai décidé de Mado reposait. Je pense qu’elle lui fera une place.

Tout à l’heure, nous serons ensemble. J’ai pas hâte, mais nous serons ensemble.

mercredi 25 mars 2020

Mercredi 25 mars 2020

Demain, on enterre mon père et ni ma sœur ni moi ne serons présentes.
Ma mère dit, « Votre père aimait les tête-à-tête ».
Je trouve quand même que c'est un sale coup, papou, d'être mort en plein confinement.

lundi 23 mars 2020

Lundi 23 mars 2020

Aujourd’hui papa est mort.

dimanche 22 mars 2020

Dimanche 22 mars

On mettra dans le cercueil un lapin taillé dans une feutrine bleue, collé sur un carton recouvert de papier peint. Ce lapin est décoré de trois cœurs découpés dans des morceaux de feutrine rose et jaune, de quatre carrés issus de chutes de feutrine jaune, rose, violette et noire, de sept boutons dont un doré, collé à la place du nombril si les lapins avaient des nombrils. En guise d’yeux, il a deux immenses boutons rose vif collés sous deux arcs rose pâle. Trois moustaches blanches du côté gauche, deux moustaches blanches du côté droit. Le temps les a un peu grisées. Enfin, deux larges pieds de feutrine brune complètent cette incroyable œuvre.

Ça date des travaux manuels de la maternelle et, malgré les déménagements, mon père ne s’en est jamais séparé. Un mystère quand on contemple ce pauvre bougre aux yeux écarquillés.

samedi 21 mars 2020

Samedi 21 mars 2020

« On ne part pas sans dire au-revoir. »

Il y a d’autres façons de dire adieu, je sais bien, mais cette phrase tourne en boucle dans ma tête. Je sais que je vais devoir passer ce cap. Je n’y suis pas encore.

vendredi 20 mars 2020

Vendredi 20 mars 2020

Je lui ai envoyé une carte sous enveloppe depuis le Japon, mais elle ne semble pas être arrivée. Je voudrais qu’on la lui lise, qu’il sache que j’ai pensé à lui, même depuis l’autre bout du monde, même dans mon envie de liberté égoïste, j’ai choisi une carte, écrit de la façon la plus lisible qui soit un texte simple, avec le plus d’affection possible, je l’ai glissée dans une enveloppe rose, scellée d’un autocollant mignon, timbrée et envoyée en France.

Pourquoi est-ce la seule qui n’a pas été reçue ?

Les pompes funèbres confirment que pendant ce confinement, les enterrements sont réservés aux ascendants et descendants. Nous serions trois. J’espère que nous aurons la possibilité de nous réunir.

jeudi 19 mars 2020

Jeudi 19 mars 2020

Hier soir, le premier ministre a dit, à la question qui était de savoir si on pouvait assister à un enterrement pendant le confinement : « J’ai conscience que je vais dire quelque chose d’une très grande dureté, mais même dans ces circonstances, nous ne devons pas déroger à la règle ».

Je manque d’air.

Ça veut dire que ses amis ne seront pas là. Je crois que je dois me faire à l’idée de ne pas être en mesure de dire au revoir, mais vais-je aussi devoir être chez moi lors de l’enterrement ?

Ces derniers jours sont une torture.

mercredi 18 mars 2020

Mercredi 18 mars 2020

J’essaie de déterminer ce que je dois faire. L’inaction me tape sur le système.

Gagner un maximum de temps « sain » histoire de prendre le moins de risques possibles si je suis porteuse asymptomatique ? Mais je suis allée au travail vendredi 13 mars. On parle de 14 jours d’incubation. Les maths ne jouent pas en ma faveur. Ont-ils jamais joué en ma faveur ?

Y aller et espérer pouvoir le voir une dernière fois ? C’est prendre le risque égoïste de contaminer les personnes autour de moi si je suis porteuse asymptomatique. Et il faudrait rester à distance de ma mère. Mais si l’une de nous deux fond en larmes, comment rester à un mètre ?

Au moins, à Paris, j’ai les bras de mon mari. Mais de qui ma mère a-t-elle les bras ?

mardi 17 mars 2020

Mardi 17 mars 2020

Ma mère a tenté de me joindre pour choisir les derniers habits de mon père, réclamés par l'EPHAD. J’étais en ligne avec un ancien collègue tourmenté. Par un mécanisme peut-être assez sordide, le temps de la conversation, ça m’a fait du bien de l’écouter m’expliquer de quoi ces derniers mois ont été faits.

Au sentiment d’impuissance qui ne me lâche plus depuis 10 ans, s’ajoute celui de l’inutilité. Le fait qu'il veuille me parler m’a fait me sentir un peu moins inutile.

Papa aurait aimé être enterré en smoking, c’est vrai qu’il le portait bien. Mais avec le temps, il a perdu ses muscles et sa carrure, pelotonné dans son fauteuil roulant. Ce sera donc un chino beige, une chemisette de lin bleu et le gilet en cachemire fin de son anniversaire. J’espère qu’il est encore suffisamment doux.

Je ne savais pas qu’on ne mettait pas de chaussures dans les cercueils.

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